Ce qu’un fait divers vu par un diplomate français raconte de la vie quotidienne du 19ème siècle

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Durant son court séjour à Belgrade, François Duclos a continuellement rendu compte au ministère français des affaires étrangères de la situation politique de la Principauté de Serbie, à une période charnière de son histoire – les tensions entre le Prince Milos et le Sénat nouvellement créé, au printemps 1839. Mais ses rapports sont aussi ponctués de récits de faits divers qui illustrent de façon vivante la vie quotidienne (et ses risques) au milieu du XIXème siècle.

1/ Les rapports de François Duclos, une fenêtre sur la navigation fluviale sur le Danube au milieu du XIXème siècle

Il relate ainsi un accident survenu sur le Danube, qui illustre les dangers de la navigation fluviale à cette époque. En effet, l’essentiel du trafic de fret et de voyageurs restait assuré par de petits navires à voile ou tractés par des attelages de chevaux lorsqu’ils remontaient vers l’amont. En plusieurs points du Danube, la navigation restait ainsi exposée aux aléas du courant et de la météo, causant plusieurs accidents – en cela, peu de choses avaient changé depuis les siècles précédents.

Un exemple de la navigation traditionnelle sur le Danube, sur une gravure représentant des ruines à Drencova

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Pour autant, de premiers vapeurs commençaient à apparaitre sur le Danube, généralement armés par l’Autriche. Ces petits navires motorisés étaient en passe de révolutionner la navigation, en l’affranchissant des courants et des vents. Pour autant, à la fin des années 1830, la faible puissance des motorisations les empêchaient encore de supplanter totalement les navires traditionnels : certains passages trop exposés aux remous ou aux forts courants restaient encore impraticables aux premiers vapeurs. Dès lors, les liaisons de l’aval vers l’amont restaient découpées en étapes, dont certaines étaient assurées par des vapeurs et d’autres par des navires à traction animale.

Un vapeur autrichien sur le Danube au XIXème siècle, près d’Orsava (carte postale autrichienne)

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La partie du Danube comprise entre Belgrade et Kladovo marquait alors la frontière entre l’eEmpire d’Autriche et la Principauté de Serbie sous contrôle ottoman. Sur cette distance, la liaison fluviale entre Belgrade et Drencova était assurée par de premiers vapeurs tandis que des navires tractés par des chevaux assuraient le service d’Orsova vers Drencova. Ce dernier tronçon comprenait le franchissement des Portes de Fer, qui constituait alors un défi logistique en raison des courants et de la difficulté à y assurer le franchissement des attelages de chevaux.

2/ L’accident du 14 mai 1839, relaté par le vice-consul français

Le 23 mai 1839, M. Duclos rapporte à Paris que neuf jours plus tôt, un navire tracté par des chevaux sur l’étape entre Orsova et Drencova avait chaviré, faisant neuf morts parmi les voyageurs qui se trouvaient à son bord. L’accident est survenu à peu près 25 kilomètres en amont d’Orsova, dans le secteur des Portes de Fer.

Vue contemporaine des Portes de Fer

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Le courant était plus vif qu’à l’accoutumée, en raison d’une crue du fleuve résultant de pluies abondantes dans les jours précédents. Alors que le navire commençait à gîter en raison de la vigueur des flots, le timonier avait interpellé l’équipe chargée de mener les chevaux pour leur demander de ralentir, afin de remettre le navire dans le sens du courant.

Vraisemblablement à cause du bruit environnant, les cochers ont incorrectement compris l’ordre donné et ont accéléré la marche au lieu de la ralentir. Cette erreur a amené le navire à se retrouver perpendiculaire au courant qui, passé quelques instants, l’a fait chavirer.

Une vue d’Orsava sur une carte postale autrichienne du XIXème siècle

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L’équipage et quelques passagers, qui se tenaient sur le pont du navire, ont été éjectés de celui-ci – quelques-uns parviendront à rallier la rive à la nage, à grand peine en raison des tourbillons provoqués par le courant. Mais l’essentiel des passagers avait pris place dans la partie fermée du navire, en raison de la mauvaise météo : coincés dans cet espace, ils s’y noient rapidement. Le drame provoque ainsi la mort de 9 passagers sur 12.

3/ Ce que cet accident raconte des risques des voyages à cette époque

L’évènement semble avoir suffisamment marqué François Duclos pour qu’il le relate dans l’un de ses rapports à sa hiérarchie parisienne : à une époque où nombreux diplomates, marchands, voyageurs etc. empruntaient cette voie navigable, l’une des principales de la région, le vice-consul entendait vraisemblablement rappeler le danger que représentait encore la navigation sur ce grand fleuve.

Mais M. Duclos semble aussi avoir été interpellé par l’identité de certaines des victimes. En effet, le navire transportait l’interprète autrichien de la Quarantaine de Semlin – c’est-à-dire le poste de douane autrichienne de Zemun, que M. Duclos pourrait avoir connu au cours des semaines précédentes. Sept autres victimes étaient des ressortissants britanniques que M. Duclos dit avoir identifié sans toutefois donner davantage d’informations dans son rapport – vraisemblablement des marchands ou représentants d’affaire.

Surtout, le vice-consul mentionne la présence parmi les victimes du chevalier Golfinger de Hinsberg, consul d’Autriche à Salonique, qui rentrait alors à Vienne à la faveur d’un congé exceptionnel. Le fait qu’un homologue immédiat de M. Duclos figure parmi les victimes explique vraisemblablement son souci d’exposer l’accident à ses autorités à Paris, avec le souhait probable d’illustrer par là-même un des risques auxquels le personnel diplomatique pouvait être exposé dans l’exercice de ses fonctions à cette époque.

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In fine, ce drame illustre les conditions parfois difficiles dans lesquels les voyages s’effectuaient dans la région au XIXème siècle ainsi que les risques que devaient accepter les voyageurs de ce temps pas si éloigné – sur un fleuve sur lequel la navigation est aujourd’hui assez largement sécurisée.

Dernière modification : 10/04/2019

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