Notre-Dame de Paris - aussi un monument de l’histoire franco-serbe

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Le 15 avril 2019, un feu prenait dans la charpente de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Rapidement, le sinistre s’étendait à une large partie de la toiture de l’édifice, conduisant à l’effondrement de la flèche ajoutée par le célèbre architecte Viollet-le-Duc mais aussi à d’importants dommages à une charpente connue pour être une des plus vieilles de France – certaines poutres datant du XIIIème siècle.

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L’évènement a suscité une tristesse largement partagée à l’échelle mondiale, cette cathédrale représentant un joyau de l’art gothique, du patrimoine médiéval français et de la culture européenne. Cette ambassade s’est associée à cet élan de tristesse, que son personnel a très largement partagé lui-aussi.

Elle partageait d’autant plus cette peine qu’en ce 180ème anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques franco-serbes, elle ne peut ignorer que Notre-Dame a constitué – aussi – un acteur et un témoin de notre histoire partagée avec la Serbie.

L’Ambassade a dès lors salué et remercié la Serbie pour le soutien qu’elle a très rapidement apporté à la reconstruction de l’édifice, en devenant le premier Etat à apporter une contribution financière au chantier - et d’un montant significatif, puisque d’un million d’euros.

1/ Notre Dame, acteur de l’amitié franco-serbe dès le Moyen-Age

A/ Un témoin de l’alliance de 1255

En 1245, Hélène d’Anjou épouse le roi de Serbie Uros Ier. Apparentée à la famille de Valois, qui règnera sur la France de 1326 à 1588, Hélène d’Anjou deviendra une sainte de l’Eglise serbe après sa mort, pour son œuvre en faveur des plus pauvres. Dix ans après que ce mariage ait noué un premier lien politique entre la France et la Serbie, une première alliance diplomatique était agréée entre la France et la Serbie, en 1255.

Le Palais de la Cité tel qu’il existait au Moyen-Age - Notre-Dame est visible en arrière plan

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La France de cette époque était alors dirigée par le Roi Louis IX, canonisé en 1297 après avoir régné de 1226 à 1270. Son accord à une alliance diplomatique avec la Serbie, en 1255, a été donné selon toute vraisemblance dans le Palais de la cité – la résidence royale française au Moyen-Age. Ce palais qui se situait alors immédiatement en face de Notre-Dame qui, dès lors, aura été le témoin de cet évènement.

Le Roi de France Louis IX, canonisé en 1297 - Saint Louis

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Saint Louis a constitué une figure marquante de l’histoire de France, pour son sens de la justice, son souci d’aider les plus pauvres mais aussi pour la qualité de son administration – qui a renforcé l’autorité du roi aux dépends des grands féodaux. Une tunique de pénitent ayant appartenu à Saint-Louis, sur laquelle se trouvent encore des gouttes de son sang, appartient depuis 1804 au Trésor de la cathédrale de Notre-Dame – où l’intervention de l’aumônier des pompiers de Paris, le père Jean-Marc Fourier, a permis de la sauver l’incendie du 15 avril 2019.

B/ Notre-Dame aurait annoncé la bataille de Kosovo Polje aux parisiens

La légende raconte qu’en septembre 1389, des messagers se seraient présenté à Paris, et demandé audience au Palais de la Cité - la résidence des rois de France. Ils terminaient ainsi un long voyage depuis Venise, où leur a été confiée la mission d’annoncer à la cour de France la nouvelle d’une grande bataille livrée par les Serbes contre les Ottoman le 28 juin précédent. Il semble que Venise ait elle-même été informée de cette bataille par Tvrtko Ier Kotromanic, roi de Bosnie. Arrivant à Paris, les messagers annonçaient que le Prince Lazar de Serbie aurait vaincu les Ottomans à Kosovo Polje, parvenant à tuer le sultan Mourad Ier.

Représentation médiévale de la bataille de Kosovo Polje

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Cette nouvelle aurait suscité la joie du Roi de France Charles VI, qui y aurait vu un coup d’arrêt porté aux Ottomans en Europe du sud-est. Il se serait alors rendu en grand cortège officiel à Notre-Dame de Paris, où il aurait fait célébrer une messe d’action de grâce avant de chanter un Te Deum. Il aurait ensuite ordonné que les cloches de la cathédrale sonnent toute la journée pour saluer la victoire des Serbes.

Le roi de France Charles VI

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Dans une France qui luttait alors pour sa survie dans la guerre de Cent ans, partiellement occupée par les Anglais, cette nouvelle aurait apporté un certain réconfort : beaucoup y auraient vu la preuve qu’un pays luttant pour son existence – la France contre les Anglais, la Serbie contre les Ottomans – pouvait espérer le salut. Ce n’est que quelques jours plus tard que la nouvelle serait parvenue à Paris de la mort du Prince Lazar et de la défaite serbe, bien qu’elle ait été très chèrement acquise par les Ottomans.

Mais dépit de sa beauté, il semble que cet évènement ait en fait eu lieu en 1395, suite à la bataille de Rovine (Valachie) : la chronique de l’époque ayant mentionné à tort la mort du sultan, l’évènement aurait ultérieurement été associé à la bataille du Champ des Merles. Ce lien entre Notre-Dame de Paris et la bataille de 1389 reste cependant très ancrée aujourd’hui encore dans le récit des relations franco-serbe, comme un élément symbolique fort des liens entre les deux pays.

Représentation de Notre-Dame au Moyen-Age

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C/ Un écho moderne de 1389 à Notre-Dame

Cette légende des cloches de notre-Dame sonnant pour saluer la bataille de Kosovo Polje a trouvé un écho moderne au début du XXème siècle. Du 16 au 19 novembre 1911, le roi de Serbie Pierre Ier se rend en visite officielle en France.

Durant son séjour à Paris, à la vue de Notre-Dame, il évoque cet épisode de 1389, saluant le fait que les autorités et le clergé français auraient honoré le combat des Serbes dans un lieu où tous les grands évènements de l’histoire de France ont étés célébrés ou pleurés selon qu’ils soient heureux ou malheureux.

Le Roi de Serbie Pierre Ier lors de sa visite à Paris de novembre 1911

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2/ Notre-Dame, une muse de plusieurs artistes serbes

A partir de la fin du XIXème siècle, plusieurs artistes serbes se rendent à Paris, dont le patrimoine historique leur fournit une source d’inspiration de premier ordre. Notre-Dame est alors la muse de plusieurs grands noms de la peinture, et servira de décors à l’ascension de la carrière de certains grands acteurs du théâtre serbe.

A/ Lazar Drljaca

Né en 1882 en Bosnie, Lazar Drljaca a développé ses talents de peintre à Vienne (1906-1911) puis à Paris (1911-1914), s’inscrivant dans le courant expressionniste puis impressionniste. Lorsque la Grande guerre éclate, il se rend en Italie, mais y est interné dans un camp de prisonniers, comme ressortissant de l’Empire austro-hongrois. Libéré en 1919, il rentre en Yougoslavie en 1926, s’installe en Bosnie et effectue régulièrement des déplacements au Monténégro. Reconnu comme une figure de la peinture yougoslave, il est cependant bouleversé et marqué à vie lorsqu’un incendie de son atelier détruit une grande partie de ses œuvres en 1943.

Travaillant comme manœuvre après la Seconde guerre mondiale, il finit par s’installer à Mostar en 1962, où il décède huit ans plus tard. Lors de son séjour parisien, Lazar Drljaca est un des premiers grands artistes serbes à peindre Notre-Dame – il est toutefois probable qu’une bonne partie de ses compositions sur la cathédrale aient disparu dans l’incendie de 1943.

Lazar Drljaca (1882-1970)

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B/ Bogdan Suput

Né en 1914 à Novi-Sad, Bogdan Suput a étudié les arts à Belgrade, avec les grands noms de ce qui deviendra l’Académie d’art graphique, fondée en 1937. De 1936 à 1938, il vit à Paris, où il rejoint l’Association des Artistes yougoslaves résidant à Paris, au sein de laquelle il se lie d’amitié avec Predrag Milosavljevic et Ljubica Cuca Sokic. Rentré en Serbie en juin 1939, il devient un des plus éminents artistes du pays, membre du célèbre « Groupe des 10 », qui organisent une exposition majeure à Belgrade en mars 1940.

Capturé en avril 1941 par l’armée allemande, alors qu’il effectuait son service militaire, il est enfermé dans un camp de prisonnier en Allemagne. Il parvient à rentrer à Novi-Sad en novembre 1941 mais, dès janvier 1942, il est assassiné par des fascistes hongrois. Bogdan Suput a beaucoup travaillé sur le patrimoine parisien lors de son séjour dans la capitale française.

Notre-Dame lui a ainsi inspiré un tableau vraisemblablement fondé sur une composition similaire de Pedja Milosavljevic.

Bogdan Suput (1914-1942) avec Ljubica Sokic

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Notre-Dame vue par Bogdan Suput

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C/ Predrag Milosavljevic

Né en 1908, Predrag Milosavljevic a été un peintre, avocat, diplomate et dramaturge serbe. Après des études à Skoplje (1919-1926), il vit à Belgrade où il étudie à la faculté de droit (1927-1929). Ayant commencé à peindre, il participe à une première exposition en 1929 à Belgrade, au Salon d’automne. En 1933, il rejoint le ministère des affaires étrangères et restera diplomate jusqu’à 1947, avant de travailler pour le Comité culturel et artistique de Yougoslavie. En 1972, il devient membre de la SANU, occupant son poste jusqu’à sa mort en 1987.

Ayant lui-même vécu à Paris dans les années 1930, il a également appartenu au « Groupe des 10 ». Il conservera un lien avec la France, où il remporte le grand-prix de l’exposition internationale de Paris en 1937. Il exposera également ses œuvres à Paris en 1946, 1952 et 1954.

Le tableau de Predrag Milosavljevic représentant Notre-Dame servira vraisemblablement de source d’inspiration à son ami Bogdan Suput, bien que l’angle de vue de la cathédrale soit différent sur les deux œuvres.

Predrag Milosavljevic (1908-1987)

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Notre-Dame vue par Predrag Milosavljevic

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D/ Vela Nigrinova

Les peintres serbes n’ont pas été les seuls à avoir une relation avec Notre-Dame. En 1892, lors d’une tournée à Novi Sad du théâtre de Belgrade, l’actrice serbe d’origine slovène Vela Nigrinova connait un triomphe en interprétant Esméralda dans la pièce « Notre Dame de Paris », basé sur le Roman de Victor Hugo. Née à Ljubljana, Vela Nigrinova commence une carrière d’actrice de théâtre en 1876. Elle rejoint le théâtre de Belgrade en 1882, où elle se fait remarquer comme actrice brillante jusqu’à son décès en 1908.

Vela Nigrinova (1862-1908)

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3/ Notre Dame, lieu apprécié des visiteurs serbes

Depuis le milieu des années 2000, près de 30 000 Serbes se rendent chaque année la France, où ils visitent surtout Paris et la Côte d’Azur. Notre Dame compte parmi les lieux les plus visités par ces touristes, dont certains ont livré d’abondantes descriptions de l’édifice dans des guides touristiques, blogs ou sites internet relatifs aux voyages.

Certains ont notamment mentionné la présence, sur un panneau gravé dans une paroi près de l’entrée de Notre-Dame, d’inscriptions en 10 langues – dont une en Serbe cyrillique. La presse serbe a en outre consacré de nombreux articles à la cathédrale pour l’occasion de son 850ème anniversaire illustrant que, 764 ans après qu’elle ait été pour la première fois le témoin d’un lien entre la France et la Serbie, Notre Dame continue de susciter l’intérêt et l’admiration dans ces deux pays.

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Dernière modification : 22/05/2019

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